lavignasse 2023 - ongoing
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« Nous étions une ferme familiale ».
Ce reportage photographique suit une ferme, en Dordogne, dans un ballet immuable de travail et de tendresse.
Environ une centaine de brebis, des noyers et des vignes. La diversité fait la force ? Pas vraiment.
La PAC recouvre à peine les frais d’exploitation, les noix du Chili cassent le marché, les vignes ont été ravagées par le mildiou l’année dernière. 2023 sera donc une année à perte.
Comment passe-t-on d’une ferme familiale à plusieurs dizaines de personnes, à une exploitation agricole ?
Malgré la richesse de cette terre, les mains sont trop peu nombreuses pour honorer chaque sillon.
C’est là, entre les champs et les ruisseaux, que se tisse l’histoire d’un labeur sans fin, dans le creux de ces mains calleuses réside l’âme d’une lignée.
Périgord Noir, 2023 - en cours
2023
Arnaud, vers 8 heures du matin, dans la stabulation. "Tous les jours, le premier truc, c'est se rendre à la stab (stabulation). On va panser, nourrir et donner de l'eau aux brebis. Voilà, ça va prendre à peu près une heure, et on fera la même chose ce soir vers 19h." Il va avoir 40 ans, et depuis 10 ans il est revenu reprendre l'exploitation agricole de son père. située dans le Périgord Noir. Outre les brebis, ils produisent entre autres du vin et des noix.
Maurice, le père d'Arnaud, au café le matin à la maison du haut. Bien qu'âgé de 70 ans et à la retraite, il continue d'aider son fils. "Le travail à accomplir est déjà colossal à deux, on n'a pas le choix, tu vois." Il me dit ça en rigolant. Je comprendrai vite qu'il aime aussi plus que tout passer du temps sur son tracteur.
Le matin, la lumière du soleil traverse le toit de la stabulation. "Bon tu vas voir, elles vont devenir folles quand on va arriver. Alors on place d'abord le foin au sol, et on le met en même temps dans toutes les mangeoires pour éviter qu'elles se blessent en se montant dessus".
"Ce matin, c’est un peu chaud car en plus je dois récupérer 3 agneaux que des gars ont achetés pour un méchoui ce weekend. Le tueur est déjà arrivé." Ce dernier est rémunéré à hauteur de 20 euros par agneau abattue. Quant à Arnaud, il réalise une marge de 80 euros par bête, couvrant à peine les frais d'exploitation nécessaires à leur élevage. Il existe encore une tolérance pour les agriculteurs afin qu'ils puissent abattre leurs bêtes chez eux.
Une vieille connaissance à eux, qui a acheté l'un des trois agneaux, buvant son café à l'intérieur de la maison.
En arrière plan le tueur s'occupe de retirer la peau et tout ce qui n'est pas comestible dans l’agneau. Il doit être le plus rapide possible car il commence déjà à faire chaud : « Hop là, ça je garde, c’est délicieux ». Ce sont les testicules, je ne sais pas s’il rigole ou pas.
Aline, une des filles d'Arnaud, est plongée dans sa lecture. En cet été 2023, elle passe une bonne partie de ses journées à se disputer avec sa sœur ou à dévorer des livres. Cela fait déjà plus d'un mois qu'elles sont en vacances, et elles trouvent le temps long. Ici, durant la journée, tout le monde travaille. Ainsi, l'été s'accompagne parfois de longs moments d'ennui.
Arnaud retournant à son tracteur après avoir mis en place l’enrouleur. "Ok, c'est bon, il va s'enrouler tranquillement avec la pression de l'eau pendant la journée. Regarde, c’est catastrophique, le sol est mort. Il n'a pas plu, ou trop d’un coup. Il y a 50 ans, on avait une année comme celle-ci tous les 10 ans, maintenant c’est la norme."
Les courroies de tracteur coûtant environ 200 euros pièce, Maurice et Arnaud les réparent jusqu'à une dizaine de fois avant d'en acheter de nouvelles.
Un (très) bref aperçu des outils disponibles dans l'atelier.
Nous sommes en fin de matinée, et Marie, la femme de Maurice, commence à préparer le repas du midi.
Abbie, la deuxième fille d'Arnaud, âgée de 5 ans, à table.
Les cabanes en pierre sèche du Périgord, également appelées "bories". Elles étaient principalement utilisées pour entreposer du matériel, notamment dans les vignes. Mais elles servaient également de refuge pour les bergers lorsqu'ils gardaient les moutons ou lors des transhumances.
Ultra et Raven se chamaillent. "C'est indispensable, un chien, on en a toujours eu. Bon, Ultra, je l'avais entraîné à chercher des truffes, sans trop de succès."
Arnaud, après manger, dans la maison du bas.
En Août, c'est l'étape de l'andainage du foin. Cela consiste à rassembler et à aligner le foin coupé en andains, c'est-à-dire en rangées régulières, afin de faciliter son séchage. "Avant de venir ramasser mes rouleaux de foin, je vais peut-être passer dix fois dans une parcelle. C'est pas un problème, ce sont les mêmes étapes depuis toujours. Simplement, avec le prix de l'essence, ça devient impossible d'être rentable".
Fin d'après-midi, Maurice commence à étaler le foin au sol, qui sera distribué dans les mangeoires des brebis d'ici une heure.
On peut apercevoir au loin l'exploitation bovine qui a ouvert ses portes il y a quelques années. Arnaud m'explique qu'elle est gérée par une société. Le contraste en termes de matériel (tracteurs, locaux, ...) témoigne de la difficulté de rivaliser en tant qu'agriculteur indépendant de nos jours. "Imagine-toi, le tracteur que j'utilise pour déplacer l'enrouleur, c'est celui que mon grand-père a acheté quand il a démarré." Un New Field des années 60.
"On court après les aides européennes qui couvrent à peine nos frais d’exploitation, le Chili casse le marché des noix et je vais vendre à perte cette année, le mildiou a détruit mes 2 hectares et demi de vignes car je n'avais pas le bon traitement. Mais bon, moi j’aime être chez moi. Travailler mes terres. Mais je t’avoue que je me tue à la tâche en ce moment. Je ne sais pas trop quel est le but de tout ça."
Les filles dans un champ fraîchement andainé par leur père.
2024
Printemps 2024, de retour en Périgord. Maurice et Arnaud se préparant à aller semer.
Au printemps, les brebis sortent au pâturage. Elles se régalent, tout est vert aux alentours. Durant l'hiver 2024, il est tombé plus de 1000 mm d'eau en Périgord, soit l'équivalent de la moyenne annuelle.
Au début du printemps, dès l'arrivée du mois de mars, le cycle végétatif commence. La cave (coopérative) a envoyé des saisonniers afin d'aider Arnaud pour entretenir sa vigne.
Maurice, le père d'Arnaud, s'habille pour sortir manger au restaurant.
À droite, la maison d'Arnaud, l'ancienne maison familiale où Maurice et ses frères et sœurs ont grandi. Au fond, l'ancienne étable à cochons datant du 20e siècle.
Marie-Claire, la mère d'Arnaud, après le repas de midi, dans sa cuisine. Passionnée de littérature, ses yeux d’un bleu ciel magnifique. Quand je pense à elle, je l'imagine à cet endroit, en train de boire son café. Cela traduit sans doute la place de la femme dans un milieu agricole, où l'homme est souvent dehors sur le tracteur.
Abbie jouant dans la cour pendant qu'Arnaud part faucher le foin.
L'ancienne salle de traite, aujourd'hui inutilisée. Ici, pour le coup, Marie à participé à l'effort de la ferme. Pendant près de 35 ans, avec Maurice, ils se sont rendus ici afin de traire leurs vaches, 2 fois par jour, 7 jours sur 7.
Vers Février-Mars de chaque année, à lieu la période d'agnelage des brebis.
Les filles le soir après l'école, refusant d'aller au lit.
Une cabane construite par leurs soins.
Ultra, à gauche, et Raven, au fond. Cette dernière vient d'attraper un rat. Elle sera fière pendant 10 min, et Ultra jaloux pendant toute la journée.
Abbie, préparant un pot de pop-corn.
Arnaud rigolant, dans le silo à grain.
Ils terminent leurs dernières réserves de grains de blé. Ils vont devoir en acheter pour répondre aux besoins en foin de leurs brebis.
Ce schéma leur permet de calculer précisément la quantité de grain à utiliser pour obtenir un semis optimal sur leur terrain.
Arnaud a racheté un alambic à une vieille famille de distillateurs locaux. Son grand-père apportait ses fruits à cette même famille. Ainsi, aujourd'hui, Arnaud distille dans l'alambic où les fruits de son grand-père étaient autrefois transformés.
Une brebis morte durant la nuit, n'ayant pas réussi à accoucher. "D'habitude, j'ai une vingtaine de brebis ou d'agneaux qui meurent. Certaines n'arrivent pas à accoucher, les agneaux se blessent ou tombent malades. Écoute, cette année, je touche du bois, je n'en ai eu que 4."
René est marié avec une sœur de la mère de Maurice, Rose, décédée il y a une quinzaine d'années. Il fait partie de la famille. À 86 ans, il continue tous les mercredi à faire 40 minutes de route pour manger avec eux le midi.
Un désaccord anime Maurice et René, faisant rire Marie-Claire de la situation. Une histoire de canapé électrique entre autre.
Dans sa voiture, rigolant. "Le C15, c'est le seul véhicule où tu peux faire ça ! Tu passes dans le village, et tu bois l'apéro, comme ça !"
En fin d'après-midi, en période de printemps, le gros de la journée est passé. Pendant qu'il étend son linge, Arnaud crie fort pour faire rentrer les moutons à la stabulation. Au détour d'une conversation : "Ce qui est compliqué, c’est de passer d’une ferme familiale à une ferme agricole. Avant, on était quinze, la grand-mère avait son potager, on tuait 2 cochons par an. On était autonome. Aujourd’hui, on est deux pour faire tout ça. Ça coûte entre 600 et 800 euros par mois en nourriture avec les filles."
Dimanche midi. Un peu de repos. Arnaud se rend boire un coup chez un ami du village.
Dans les vignes, un coup de vent annonçant un orage fait s'envoler tous les pissenlits.